INCERTAINS REGARDS

Section Théâtre Aix-Marseille Université


Andromaque de Jean Racine | Frédéric Poinceau

lundi 18 janvier 2016


Création universitaire, d’après le texte de Racine
Mise en scène : Frédéric Poinceau
Cie Les travailleurs de la nuit
Avec les étudiants du cursus théâtre d’Aix-Marseille Université


— Les représentations
— La distribution
— À propos de la pièce
— Notes de mise en scène
— Le metteur en scène
— Extraits


LES REPRÉSENTATIONS


Du 23 au 27 février 2016 au théâtre Antoine-Vitez, Aix-en-Provence
— Mardi 23, Vendredi 26, Samedi 27 à 20h30 Mercredi 24 à 19h00
— Jeudi 25 à 14h30 (complet)


LA DISTRIBUTION


— Mise en scène : Frédéric Poinceau
— Assistants à la mise en scène : Claire Viscogliosi et Cédric Trouche
— Dramaturgie : Quentin Delplanque
— Costumes : Elise Py et Agathe Pépiot
— Communication / Production : Marina Lovalente
— Régisseurs sons et lumières : Thomas Fehr et Damien Franceschi
— Création son : Vivien Berthaud
— Scénographie : Alexia Chardard et Simon Durand
— Musiques : Luigi Nono et Arvo Pärt

Avec :
— Baptiste Adelmar : Pyrrhus
— Clarisse Arnaud : Andromaque
— Alexia Chardard : Hermione
— Simon Durand : Pylade
— Romain Henry : Pyrrhus
— Chloé Humbert : Hermione
— Charlène Juvé : Oreste
— Stéphanie Léon : Céphise
— Youssra Mansar : Andromaque
— Maéva Mortemousque : Cléone
— Alexandre Peyron : Oreste
— Olkan Servellera : Phoenix


À PROPOS DE LA PIÈCE


Le 17 novembre 1667, Racine présente à la Cour sa nouvelle pièce Andromaque. Âgé de 28 ans, il est déjà l’auteur de deux tragédies La Thébaïde et Alexandre le Grand, mais c’est avec Andromaque qu’il invente une nouvelle voie dramaturgique dans la tragédie classique et une véritable révolution esthétique. Avec cette pièce, le jeune Racine, faisant rupture avec Corneille, adopte le point de vue de l’individu et du sujet, et non plus de la raison d’État. Andromaque, œuvre démesurée par son écart avec le tragique traditionnel, annonce de façon brutale la thématique centrale des pièces de maturité qui suivront, Bérénice, Britannicus ou Phèdre : l’amour passion, l’amour maladie ou l’amour « fou », celui d’un homme naturel, désormais dénoncé dans sa vulnérabilité, ses contradictions et sa violence. Tout le théâtre de Racine à partir d’Andromaque est fait de cette oscillation entre le sublime traditionnel et une vision de l’amour qui le contredit.

L’action d’Andromaque se situe sur les ruines de la Guerre de Troie, remportée par les Grecs. C’est l’heure de la déchéance des héros. Les captives ont été tirées au sort entre les vainqueurs. Le Grec Pyrrhus, « fils d’Achille et vainqueur de Troie » est tombé amoureux de sa prisonnière Andromaque, veuve du chef troyen Hector, tué par Achille. Il délaisse Hermione, fille de Ménélas qu’il doit épouser. Oreste, de son côté, aime d’un amour fou Hermione. Andromaque est partagée entre sa fidélité à la mémoire de son mari et son désir de sauver son fils Astyanax, également prisonnier. Pyrrhus menace de tuer l’enfant, si elle ne lui cède pas. Dans l’ombre, la jalousie meurtrière d’Hermione les menace tous. De son côté, « Incapable toujours d’aimer et de haïr » Andromaque tire, malgré elle, les fils de cette tragédie passionnelle.

La structure d’Andromaque est celle d’une chaîne amoureuse à sens unique. Le seul pouvoir conféré à chacun est de faire le mal d’un autre en cascade. Une mécanique tragique exemplaire résumée par la ritournelle célèbre de Louis Jouvet : Oreste aime Hermione qui ne l’aime pas, qui aime Pyrrhus qui ne l’aime pas, qui aime Andromaque qui ne l’aime pas, qui aime un mort... Le passé dévore tous ces enfants de héros d’un ordre ancien qui pèse encore. Après la guerre des armes de leurs pères, c’est une bataille larvée des sentiments, perdue d’avance, qui se perpétue jusqu’au dénouement fatal. Soumis à l’incandescence de leurs passions, au poids du passé dont il faut s’arracher, les protagonistes ne peuvent recourir ni à la sagesse, ni à la morale ; ils ne cherchent jamais à se consoler ou à modérer l’intensité mortelle de leurs joies et de leurs souffrances. Ils sont condamnés à vivre dans le malheur le plus pur, le plus absolu, ballotés entre passion et devoir. Andromaque est aussi la tragédie du dilemme.


NOTES DE MISE EN SCÈNE


« Mon intuition première, en mettant en scène Racine, est de privilégier un théâtre de l’intériorité et de l’émotion, dans le plus grand dépouillement. La vérité des héros que nous ressuscitons se construira à partir d’un travail de sensation aigu et de pureté des présences. Il ne s’agira pas d’extérioriser la violence du discours mais au contraire d’en contenir les crises. Le mal rôde au dehors du récit, de l’image, de l’acteur. Comme les sentiments, il ne doit pas être montré mais suggéré au spectateur pour mieux l’inquiéter et l’émouvoir. La proximité avec le public est essentielle : l’espace tragique doit l’englober comme s’il était lui-même confident et voyeur du trouble émotionnel des figures. C’est une Andromaque charnelle, intime, exposée crûment en gros plans continus, que je nous propose. Il nous faut rapprocher Racine de l’œil et de l’oreille du spectateur. L’acteur est au centre du corridor, prisonnier des regards. Et dans ce rapprochement, il y a l’idée d’une nudité insolite des présences, dans la rigueur somptueuse de l’art poétique. C’est avec une extrême tendresse, teintée d’enfance, que se révèlera la cruauté des enjeux et des aliénations : chuchotements et effleurements brûlants, portant en eux un désir, une aversion, une blessure, un secret. Le vers sera là pour consoler les figures.

Il y a aussi l’idée de mettre en relief, dans ce jeu de face-à-face en tension, si proche de nous, la cérémonie racinienne dans toute son étrangeté. L’enjeu profond du rituel tragique c’est ce que les personnages vont perdre, juste sous le regard du public. Pour l’acteur, le temps du drame devient un exercice de vérité. Chaque scène doit être engagée comme un dernier coup de dés, comme un dernier appel et une ultime prise de risque. Les corps se font face tour à tour sur l’échiquier central, déchirés entre la gloire d’un passé trop lourd et le chaos des sentiments. L’obscurité engloutit peu à peu ces corps en émoi qui contredisent ce que les mots énoncent. Leurs gestes -effleurement, caresse suspendue, morsure avortée- retardent une implosion en attente. L’élégance et la noblesse sont les atours de la décomposition intérieure qui les gagne. Le vers est leur dernier réconfort pour survivre. »

Une Andromaque contemporaine d’après les figures d’Antonioni

« Il ne sera pas question pour nous d’historiciser Andromaque, à travers une quelconque évocation antique ou grand siècle. C’est en pensant aux héroïnes tourmentées d’Antonioni, - à mes yeux le cinéaste le plus racinien - que j’imagine notre Andromaque. Une Andromaque contemporaine, dans le reflet de cette bourgeoisie italienne oisive des années soixante, celle de la Notte ou de l’Avventura, faite de ces jeunes héritiers, en mal d’action et sans conscience politique, rongés par l’ennui et les blessures du cœur. A l’image des héros raciniens, ces gens élégants, occupés surtout d’eux-mêmes, se font des plaies horribles, en se disant des choses très tendres. Comme Hermione, Pyrrhus, Andromaque ou Oreste, ils ont tous des privilèges mais aucun pouvoir réel, et le passé les dévore. Pour combler le vide, ils jouent, comme des enfants, à s’aimer ou se haïr, dans l’illusion d’une possibilité de vie nouvelle. Ce sont ces corps en fuite et ces visages remplis d’espoir ou d’effroi qui seront convoqués, car ils nous touchent. Cela pourrait commencer ainsi : en bordure de scène, Hermione, accoudée à son piano, égrène les premières notes de l’art de la fugue de Bach. On entend dans le silence le ronronnement d’un ventilateur. Frémissement d’un rideau de voile à l’autre extrémité de la scène : Oreste entre à pas feutrés, les yeux fermés, tendant les mains vers elle, comme un enfant jouant à l’aveugle. »

Versification et énonciation

« En cette nuit tragique, j’entends les voix d’Andromaque comme les unités d’un ensemble choral. Les acteurs doivent tous parler la même langue. La versification doit se déployer comme une composition polyphonique, bouche froide et cœur bouillant, régie par des règles strictes et communes. La sensualité de l’alexandrin n’est pas acquise. Elle s’invite à partir d’un grand travail d’écoute.

Les voix seront douces : souffle sur une blessure. Il faut s’adresser à l’autre comme si on se parlait à soi-même. Les personnages raciniens s’interrogent toujours eux-mêmes à travers l’autre. Parfois, au détour d’un silence, un cri de douleur qu’on ne peut plus étouffer... L’alexandrin ? L’effort doit demeurer invisible. L’alexandrin n’est ni de la prose, ni un exercice musical. Il faut faire entendre le vers comme un vers. Il y a douze pieds, la rime et les accents obligatoires. L’accent détermine le rythme.

La vérité de l’alexandrin n’est ni de se détruire, ni de se sublimer :
elle est dans sa distance
Roland Barthes.

Dans sa distance poétique, la langue racinienne est là pour déréaliser, magnifier la présence brute des êtres. L’acteur racinien doit se soustraire à sa propre surveillance, être plutôt que paraître, dans une tentative de déséquilibre intérieur constant. Il est aussi l’instrument de précision de la langue. Un instrument de cruauté dont les mots sont les seules armes. Parfois pour survivre, souvent pour tuer. »


LE METTEUR EN SCÈNE


Frédéric Poinceau fait ses études à l’Université d’Aix-Marseille et obtient une maîtrise section Théâtre au département « Arts » de l’université Aix-Marseille. Il complète sa formation théâtrale à Paris, au Théâtre des Quartiers d’Ivry auprès d’Adel Hakim et d’Elisabeth Chailloux, en 1990. Il poursuit sa formation d’acteur, avec, notamment, André Steiger, Youri Pogrebnichko, Philippe Ottier , Vincent Rouche , Christophe Galland , Isabelle Pousseur , Jean-Louis Benoit, Elisabeth Chailloux, Célie Pauthe...

Il joue avec de nombreuses compagnies théâtrales, en France et à l’étranger, entre autres, sous la direction de François-Michel Pesenti, d’Hubert Colas, Angela Konrad , Marie-José Malis, Elizabeth Chailloux, Julie Brochen, Youri Pogrebnichko, Anatoli Baskakov, Lambert Wilson, Philippe Eustachon, Danielle Bré, Martine Charlet, Cyril Grosse, Haim Menahem, Andonis Voyoucas, Pierrette Monticelli, Selim Alik, Jacques Mornas, Ivan Romeuf, Marc De Negri...

Il crée la Cie Les Travailleurs de la Nuit en 2004 à Marseille où il adapte et met en scène :
— Le Lieu du crime d’après les scénarios de Jean Eustache Une sale histoire et Le jardin des délices au théâtre de la Minoterie, à Marseille (2003) ;
— Les Instituteurs Immoraux d’après La philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, au théâtre des Bernardines, à Marseille (2006) ;
— Les Bienfaits de l’Amour d’après Le Banquet de Platon, au théâtre des Bernardines et au théâtre Antoine Vitez, à Aix-en-Provence (2012) ;
— Le 20 novembre de Lars Norén au théâtre de Lenche (2014) ;
— Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, au Théâtre Antoine Vitez (2014) et au C.D.N. La Criée (2015)

Par ailleurs, Frédéric Poinceau intervient régulièrement au département des arts de la scène à l’Université d’Aix-Marseille en tant que metteur en scène et enseignant. Il y dirige des ateliers de jeu à partir des répertoires classiques ou contemporains : Le Misanthrope de Molière, Andromaque de Racine, La mouette de Tchekhov, Le dragon d’or et Avant après de Schimmelpfennig.

Dans ce cadre universitaire, il a mis en scène :
— Je tremble 1 et 2 de Joël Pommerat (2009)
— Le diable probablement d’après un film de Robert Bresson (2010)
— Cendrillon de Joël Pommerat (2013)
— L’éveil du printemps de Frank Wedekind (2014)


LA COMPAGNIE


Les Travailleurs de la Nuit est née en 2004 à Marseille, de l’association de deux acteurs, Fabrice Michel et Frédéric Poinceau, partenaires de jeu complices dans de nombreuses créations théâtrales passées, aux esthétiques variées d’ici et d’ailleurs. Depuis 2008, Frédéric Poinceau assure la direction artistique de la compagnie et élabore la conception des projets.

Dans ses premiers désirs de « faire théâtre de tout », se développent des projets théâtraux hors répertoire dramatique, privilégiant l’adaptation et le brassage de matériaux hétérogènes (scénarios cinématographiques, dialogues romanesques, philosophiques, interviews, conférences, poèmes, peintures...). Leur recomposition dramaturgique s’effectue au cours des répétitions, par les procédés de l’improvisation, du montage, et d’une écriture qui brasse et fait se confronter des matières contemporaines et passées. De façon paradoxale, le choix de ces textes- matériaux a été l’occasion d’interroger le théâtre avec des moyens qui sont résolument les siens, à savoir un théâtre de l’acteur et un théâtre du texte.

Au fil de « conférences spectacles », une conversation ininterrompue s’est entamée avec le public, disséquant la représentation et ses simulacres (Jean-Luc Godard) la perception et ses déviances, le rapport des sexes (Jean Eustache, Jérôme Bosch), et interrogeant l’érotisme dans son action poétique et subversive sur le langage (Marquis De Sade, Platon, Buñuel, Wedekind). A partir de 2008, nous affirmons notre choix d’une alternance et d’une porosité entre transmission et création artistique, productions professionnelles et productions issues de l’enseignement théâtral que nous diffusons. Se réalise la nécessité d’une articulation de ces deux pôles d’action, qui aiguise les axes d’exploration de la compagnie et infléchit une ouverture au répertoire théâtral classique et contemporain.


EXTRAITS


Hermione — Ah ! Ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?
Le cruel ! De quel œil m’a-t-il congédiée !
Sans pitié, sans douleur au moins étudiée !
L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ?
En ai-je pu tirer un seul gémissement ?
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
Semblait-il seulement qu’il eut part à mes larmes ?
Et je le plains encore ! Et pour comble d’ennui,
Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui !

[/Oreste — Et vous le haïssez ? Avouez-le, madame,
L’amour n’est pas un feu qu’on referme en une âme :
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux ;
Et les feux mal couverts n’en éclatent que mieux./]

Hermione — Je l’ai trop aimé pour ne point le haïr.

[/Andromaque — Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse ?...
Captive, toujours triste, importune à moi même,
Pouvez vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamnés./]

Pyrrhus — Eh bien, Madame, eh bien ! il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence ;
Songez y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.

Hermione — Chère Cléone, cours : ma vengeance est perdue S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue.